Compte rendu de L'UNIVERS, de Paris, 20 mars 1899.

UN THAUMATURGE AU XlXe SIÈCLE


« Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au delà », a dit Pascal, qui n'a jamais dit plus vrai. — Célèbre d'un côté de la frontière belge, inconnu de l'autre, dirai-je à mon tour, en parlant d'un pauvre moine dont la renommée remplit les Flandres et qu'un hommage d'auteur vient de me révéler sa glorieuse humilité.

Jamais auparavant, je n'avais entendu parler du Père Paul, religieux bénédictin de l'abbaye de Termonde, fondateur du monastère de Steenbrugge et restaurateur de l'abbaye d'Afflighem, lequel, en février 1896, couronna par une sainte mort une longue vie, semée de vertus héroïques, de faits aussi authentiques qu'extraordinaires.

Tout est nouveau, original, excentrique même, dans ce livre, qui n'est qu'un recueil d'anecdotes, de prodiges, de paroles édifiantes et parfois stupéfiantes : livre sans prétention, qui se présente en déshabillé, sans composition ni ordre apparent, dédaigneux de tout artifice littéraire, et dont s'exhale, malgré tout, un parfum de vérité, de foi profonde, de sainteté naïve, qui vous pénètre du cœur à l'esprit, fait souvent sourire, quelquefois pleurer ; un livre enfin comme on n'en voit pas, comme on n'en fait pas et comme il serait désirable qu'on en fît, qu'on en lût beaucoup.

Avant d'en parler, j'ai voulu, pour mes lecteurs comme pour moi-même, m'édifier sur son authenticité, approfondir son état civil et j'ai demandé au vénérable curé de Lorraine, vieil abonné de L'UNIVERS, qui me l'avait fait parvenir, la situation, l'adresse de l'auteur et même les noms et adresses de la plupart des témoins, des convertis, des guéris de ce thaumaturge flamand.

Les lettres, les renseignements que j'ai reçus de France et de Belgique ne me laissent aucun doute sur la parfaite véracité de l'auteur et du livre. C'est donc sans scrupule que je me mets à l'œuvre, heureux de contribuer à la propagation d'un écrit édifiant, à la glorification d'un moine contemporain qui a fait revivre, dans la seconde moitié du XIXe siècle, quelque chose de la physionomie, de l'histoire de saint François d'Assise, de saint Vincent de Paul et de l'admirable curé d'Ars.

Dès les premières lignes de la courte et vivante biographie qui forme comme la préface de l'ouvrage, apparaît son caractère distinctif, l'originalité : originalité de bon aloi, provenant des faits racontés et de la simple et tranquille familiarité du narrateur. Il peint d'ailleurs d'après nature son modèle, qui a posé devant lui pendant vingt ans, semble l'avoir imprégné de sa foi naïve et de son aimable esprit.

Né à Moll, province d'Anvers, le 15 janvier 1824, Père Paul, seul nom qu'il lui donne, s'appelait François Luyckx. Ses parents, dont le livre ne dit rien, devaient être des campagnards d'une honnête aisance.

Il commença ses études à l'école du village, sous la houlette d'un instituteur unique en son genre. — Ô instituteur de nos jours, maires civilisés, inspecteurs primaires, voilez-vous la face ! — Comme la plupart des élèves habitaient assez loin de la maison d'école, l'excellent homme, à la belle saison, pour leur abréger la route, venait au-devant d'eux, jusqu'à une prairie ombragée de grands arbres : les écoliers joyeux et reconnaissants, ayant le gazon pour bancs, les rameaux des chênes pour abri, écoutaient les leçons du bon maître, accompagnées du chant des oiseaux et du murmure de la brise : leçons aimées, écoutées, retenues. Faire de l'école une école buissonnière, n'est-ce pas un trait de génie, à la mode saint François d'Assise ? Et cette alliance du grand air, du ciel lumineux, de l'odeur saine de la terre labourée avec l'enseignement primaire, n'est-elle pas digne de la vie des saints ? Les chênes de Moll, où méditait et étudiait le futur apôtre des Flandres, devaient être cousins du grand chêne où saint Vincent de Paul, enfant, gardait le troupeau paternel.

Préparé par de telles leçons, le jeune François fit ses humanités au collège de Gheel, à six kilomètres de son village. Cette fois, les leçons ne venaient plus au-devant de lui ; il allait les chercher au loin, faisant allègrement ses douze kilomètres par jour, recueillant en route les leçons des choses, les impressions de la nature, où tout lui parlait de Dieu dans ses œuvres.

Sa vocation religieuse, reçue presque avec le baptême, grandit dans cette atmosphère pure et catholique du pays flamand ; il n'en perdit pas un seul moment la pensée, le désir, et pourtant, ce ne fut qu'à 24 ans, en 1848, qu'il franchit la porte du monastère des Bénédictins à Termonde. Après une année d'épreuves, le 30 septembre 1849, il prononça les vœux de pauvreté, de chasteté et d'obéissance. Il était moine : il n'était pas encore prêtre.

Pour y arriver, il dut travailler, prier, s'anéantir pendant près de dix ans de plus, et ce ne fut que le 21 novembre 1858, après deux années d'études théologiques approfondies au célèbre collège des Bénédictins de Parme que, pour la première fois, il monta les degrés de l'autel et offrit le saint sacrifice de la messe dans les sentiments d'une piété angélique.

Il avait donc 34 ans quand il commença sa vie sacerdotale et apostolique, vie de prière, de sacrifice, de prodiges, qu'il poursuivit pendant près de quarante années, sans un moment de relâche.

Cette mission extraordinaire de thaumaturge, d'apôtre populaire, de semeur de grâces, il la reçut du Sauveur Jésus en personne, et voici dans quelles circonstances, racontées par lui-même :

« Au commencement de ma vie religieuse, étant malade au point de me voir condamné par la science, Notre Seigneur m'apparut, accompagné de la sainte Vierge, de saint Joseph, de saint Benoît. Tandis que Marie me tenait la main, le Sauveur, posant sa droite sur ma tête, me dit : « Sois guéri ; désormais tu vivras pour la consolation d'un grand nombre de personnes. Je t'accorde tout ce que tu Me demanderas pour les autres ». — Et aussitôt, je fus guéri ».

De là sa simplicité familière, son attitude presque impersonnelle, dans l'accomplissement de cette mission divine, comme s'il était le témoin, l'instrument docile, presque inconscient des prodiges qu'il opérait ; de là aussi ses réponses à des incrédules, en des termes incompatibles, en apparence, avec sa profonde humilité : « Cela se fera, puisque c'est MOI qui vous le dis ». Ce moi signifiait Dieu par moi.

Souvent aussi, il s'abritait par humilité derrière saint Benoît, comme le curé d'Ars mettait ses miracles au compte de sainte Philomène : ces bons saints à miracles nagent dans l'Océan des miséricordes divines comme les poissons dans l'eau.

Quoi qu'il en soit, notre Bénédictin prit le Seigneur au mot et se mit à l'œuvre sans retard. Dès son retour à l'abbaye de Termonde, point central d'où il rayonnait dans les Flandres et la Belgique entière, il donna au peuple de ces catholiques régions l'impression d'une sainteté qui alla croissant jusqu'à sa mort.

On évalue à plus d'un million les personnes qui eurent recours à lui et reçurent de lui des lumières, des bienfaits d'ordre spirituel ou matériel, naturel et surnaturel, impossible à compter. Au fond, son histoire ne se compose guère que du récit de ses prodiges.

Et, chose étrange, sorte de miracle qui couronne tous les autres, il était si humble dans son attitude, si réservé et si silencieux dans l'intérieur du couvent, que les religieux de Termonde ne se doutaient guère des merveilles de sa vie. Ils connaissaient sa popularité, voyaient les foules assiéger sa cellule, mêlées aux visiteurs de distinction accourus des pays étrangers, même d'Amérique, mais ils ignoraient les causes de cet immense concours.

« Aussi, dit son biographe, ce fut un spectacle digne de tenter le pinceau d'un Philippe de Champagne, le peintre des miracles de saint Benoît, de voir, au lendemain du décès du bon Père, l'étonnement général des Bénédictins, aux récits des faits merveilleux, apportés de toutes parts par la multitude des favorisés ».

Père Paul semait littéralement les prodiges sous ses pas. On eût dit que des pouvoirs surhumains lui étaient dévolus à discrétion et qu'il en usait sans mesure et à tout propos. — Vraiment, disait un des témoins de sa vie, il faut croire qu'il faisait des miracles par habitude et en guise de passe-temps. C'était un thaumaturge fin de siècle. Jamais on n'a constaté des faits aussi stupéfiants et aussi continuels.

Il suffisait d'avoir été une fois en rapport avec lui, pour se sentir soulagé de ses misères et emporter de cette visite une provision inépuisable de bien-être. La ville d'Anvers, où il faisait de fréquents séjours chez l'un ou l'autre de ses amis, a gardé un vivant souvenir de cette action bienfaisante et pacifiante jusqu'au prodige.

La foule des visiteurs faisait queue jusque dans la rue, et sur la figure de ces mendiants de santé ou de vérité, dont le nombre se comptait par centaines, se lisait la tristesse, l'inquiétude ou le découragement, que l'espérance ne suffisait pas à dissiper. Mais quel changement à l'issue de la courte visite ! Les visages étaient rayonnants, les cœurs tout à la joie. On avait obtenu ou reçu la promesse, toujours réalisée, d'obtenir à un jour ou à une heure précis, les faveurs tant désirées. La clairvoyance de l'homme de Dieu n'était jamais en défaut, et il se montrait mieux renseigné des vrais besoins de ses visiteurs qu'ils ne l'étaient eux-mêmes.

Rien de plus varié, de plus original dans leur diversité que les besoins qu'on lui exposait, les conseils qu'on lui demandait, les grâces qu'il répandait incessamment et qui semblaient sortir de lui comme la chaleur et la lumière émanent du soleil.

Les conscrits venaient lui demander un bon numéro, au jour du tirage ; les jeunes gens des lumières sur leur vocation, des conseils et des prières au sujet de leur mariage ; les fermiers de belles récoltes, la guérison de leurs bestiaux et dans ses réponses, toujours immédiates et précises, il indiquait à tous la cause de leurs maladies ou de leurs épreuves spirituelles, le moyen assuré et la condition des grâces sollicitées ; parfois, il leur révélait des actes, des pensées même, cachées au fond de leur âme, et qu'il y lisait comme dans un livre ouvert.

Ce qu'il y avait de profondément émouvant et attachant en cet homme de Dieu, c'étaient sa bonté, sa compassion, sa tendresse humaines, unies à sa clairvoyance et à sa puissance surnaturelle. Il pleurait, il souriait, il plaisantait dans l'exercice de ses fonctions de thaumaturge, et il abaissait, si l'on peut s'exprimer ainsi, la puissance divine dont il était l'instrument aux plus petits intérêts de la terre.

Comme saint Ignace de Loyola qui ressuscita une poule pour consoler une petite paysanne, il guérissait les bêtes aussi bien que les gens : ici, un cheval malade, richesse et ressource d'un laboureur ; là, un veau agonisant, qui, sous sa bénédiction et l'attouchement d'une médaille de saint Benoît, se relevait bondissant, aux cris de joie des enfants de la ferme.

Il savait au besoin mêler la leçon grave, sévère même, au bienfait ; refuser son secours aux indignes, aux pécheurs non repentants, et leur prédire, s'ils ne se corrigeaient pas, des châtiments parfois terribles et toujours réalisés.

Maintes fois, on vit de mauvais drôles venus par moquerie, terrassés d'un mot de sa bouche, d'un regard de ses yeux, tomber à genoux, le suivre au confessionnal, où il leur révélait les fautes les plus cachées de leur vie.

Quand ce n'étaient pas des espiègles ou des curieux qui venaient l'interroger, des méfiants qui venaient l'observer, il usait volontiers de leurs armes et les déconcertait par une spirituelle plaisanterie. J'oserais dire qu'il était si pénétré de surnaturel qu'il en mettait jusque dans ses délassements d'esprit.

En voici un exemple assez original. Un Père Jésuite, passant en chemin de fer à Termonde, et voulant juger d'un regard ce moine dont on parlait partout, court au monastère dans l'intervalle de deux trains et, pour ne pas perdre de temps, entre à l'église. On lui dit que le Père Paul est au jubé et il se rend au pied de l'escalier qui y mène. Le Père Jésuite était en habits civils.

Au bruit de ses pas, l'homme de Dieu descend quelques marches, et il entend le visiteur qui lui crie d'en bas : — Êtes-vous le Père Paul ? — Êtes-vous Jésuite ? lui répond du même ton le fils de saint Benoît, qui remonte aussitôt, laissant le fils de saint Ignace ébahi, pleinement édifié et légèrement mortifié.

Il y a une telle variété de ton, de circonstances, de leçons, dans les innombrables anecdotes où l'action de Dieu apparaît toujours avec la charité de l'homme, et qui se succèdent dans cette étrange vie de saint sans lasser jamais l'émotion, qu'on voudrait pouvoir les citer toutes. En les lisant et relisant pour y faire un choix, je me disais à chacune : en voici une qu'il faut prendre, et je la mettais à part. Au bout du recueil, j'en avais relevé une centaine parmi trois on quatre cents autres d'un égal intérêt. Notez que dans ces récits de quelques lignes se trouve parfois tout un bouquet de grâces célestes à respirer.

Une de ces visites du Père Paul à une communauté d'Anvers est une vraie visite de médecin, mais d'un médecin qui lisait dans les âmes des malades et guérissait leurs corps à coup sûr.

À la Sœur qui l'introduit et lui demande son nom, il répond « Je suis l'amour de Dieu ! »

Entendant ces paroles, deux des religieuses auxquelles il avait longtemps auparavant révélé leur vocation, s'écrient toutes joyeuses : « C'est lui, c'est le Père Paul ! » On le conduisit à l'infirmerie occupée par quatre Sœurs. La première souffrait d'un gros abcès sous le bras. « Bagatelles ! » dit le Père, en appliquant sa main sur l'abcès ; et la souffrance cesse à l'instant même.

La deuxième, la Mère Supérieure, avait un violent mal de gorge et ne pouvait parler. « Bagatelles ! » dit encore le Père avec sa petite moue habituelle, et il touche la gorge enflée. Le mal disparaît et la voix redevient claire et forte.

La troisième malade souffrait du pied et ne pouvait marcher depuis trois semaines ; la quatrième avait un panaris au doigt. Toujours bagatelles, répète le médecin du bon Dieu : et au contact de sa main, le panaris s'en va, le pied blessé se guérit, et la Sœur, délivrée de son mal, se met à marcher à grands pas en riant de bonheur.

« Vous voyez bien que ce n'était rien », dit le bon Père, et il s'éloigne, emportant les bénédictions de la communauté.

Comme il guérissait les corps, le Père Paul lisait dans les âmes et dans le passé. Un jeune homme de 20 ans, souffrant atrocement depuis plusieurs mois d'un rhumatisme au bras, entre chez le serviteur de Dieu avec un camarade.

« Puis-je vous parler en présence de votre compagnon ? lui demanda le Père à brûle-pourpoint. — Oh oui, c'est un ami, il peut tout entendre. — Bien. C'est avec ce bras qu'à tel jour vous avez frappé votre père, et voilà la cause de votre mal. En avez-vous du regret ? Oui. Allez de suite vous confesser, et puis revenez ». Après la confession, le Père lui toucha le bras et le rhumatisme disparut.

À un autre jeune homme qui venait de se confesser au retour du service militaire, il demanda : « N'avez-vous plus rien à dire ? — Non. — Si fait. — Je ne me rappelle rien. — N'avez-vous pas connu une jeune fille à Bruxelles, à qui vous avez promis mariage ? — Oui, en effet. — Et ne lui avez-vous pas fait accroire que vous étiez du pays wallon ? — C'est vrai. — Eh bien cette fille erre à votre recherche, mendiant son pain, son enfant sur le bras, et cet enfant est le vôtre. Vous devez l'épouser. — Mais j'ignore où elle est. — Rendez-vous à Bruxelles, allez à la maison où vous l'avez connue, elle vous y rejoindra ».

Le jeune homme repartant prit le premier train pour Bruxelles et se rendit à la maison désignée. Cinq minutes après, la jeune fille, venant de Liège apparut. Le mariage se fit et les époux sont heureux en ménage.

Le Père Paul fit beaucoup d'heureux de ce genre, en empêchant ou conseillant des mariages. Il mettait la même insistance à encourager le mariage ou le cloître suivant les vocations, et il le faisait toujours avec cette autorité qu'il puisait dans ses lumières surnaturelles.

Une dame et sa fille lui demandent de les entendre en confession ; il répond que ce n'est pas nécessaire. La mère alors l'interroge au sujet de la vocation de sa fille, « C'est le mariage. — Mais..., reprend la dame. — Je vous dis qu'elle se mariera », interrompit le Père ; et s'adressant à la jeune fille il ajouta : « Ce sera bien pour l'âme et pour le corps ; je prierai pour cela. Mais ne le dites à personne », fit-il encore en souriant.

Une autre fois, c'est un gentilhomme qui expose au P. Paul son désir d'aller en Amérique pour chercher un parti convenable au point de vue de la fortune ; mais, ajoute-t-il, ma mère s'oppose à mon projet. « Ne faites pas ce voyage, répondit le Père, vous trouverez votre Amérique dans le pays ». Peu après, le jeune homme fit, dans une ville d'eaux, la connaissance d'une riche américaine, qui l'agréa.

L'homme de Dieu combattait avec indignation les conseils des médecins ou les calculs des familles opposés à la fréquente maternité et il prédisait la bénédiction de Dieu sur la mère par les enfants.

Une demoiselle, qu'il avait guérie d'une maladie de poitrine déclarée mortelle, s'était mariée ensuite et alla voir le P. Paul à Termonde en 1895. « Vous n'avez qu'un enfant ? lui dit-il. — Un seul. — C'est trop peu, il vous en faudrait encore un. — Le médecin m'a dit que ma santé ne me le permet pas. — Non, non, un seul ne suffit pas ; prenez bon courage ». Un an après, elle mit au monde un gros garçon bien portant, qui faisait toute sa joie. Il était né au mois d'août 1896, six mois après la mort du P. Paul. Au mois de février 1897, le cher petit mourut sans avoir été malade. La nuit suivante, la pauvre mère, s'étant endormie au milieu de ses larmes, se réveille tout à coup et que voit-elle ? Le Père Paul en habits de religieux, tenant dans ses bras l'enfant, vêtu comme au moment où il expira. L'attitude du bienheureux Père était semblable à celle de saint Antoine de Padoue portant l'enfant Jésus, tel que le représentent les pieuses images. Cette vision changea le chagrin de la mère désolée en une grande joie. Elle pouvait dire désormais en toute certitude, suivant la charmante locution d'une province catholique du Midi : « J'ai deux enfants, l'un sur la terre, l'autre au Paradis ».

Je ne puis mieux couronner ces citations que par le récit de trois guérisons extraordinaires dont je crois pouvoir, sans indiscrétion, nommer les bénéficiaires.

C'est d'abord celle de deux jeunes gens de Bruges, l'auteur lui-même de la vie du Père Paul, et son frère. Il les raconta en ces termes :

« Un jeune homme de Bruges, ayant un panaris au pouce, visita le Père Paul. Appliquant son doigt sur le panaris, le Père demande : « Sentez-vous le mal vous quitter ? — Non. — Moi, si ». Le pouce était guéri.

En y mettant un peu de salive, Père Paul guérit à Steenbrugge un anthrax au cou d'un autre jeune homme de Bruges.

Quant à la troisième guérison, voici en quels termes elle est rapportée par un peintre distingué de Gand. M. Arthur Michiels, racontant la quasi-résurrection de son père, en 1880 :

« Un jour de fête à Anvers, mon père, alors jeune, se rendait à cette ville en train de plaisir ; le train dérailla ; il y eut des morts et plusieurs blessés. Mon père reçut à la figure un coup violent, qui lui cassa l'os du nez et y enfonça une esquille.

« Longtemps après, en 1880, mon père devint gravement malade et ressentit à la tête un mal des plus douloureux. D'après le médecin, une tumeur s'était formée à l'intérieur et était prête d'atteindre le cerveau : la mort était imminente.

« Mon pauvre père, incapable de se mouvoir dans son lit qu'il ne quittait plus, ni de prendre aucune nourriture, avait été administré. Ce fut alors que ma mère se rendit au monastère, mais ne put voir le Père Paul qu'à trois heures, tellement il y avait foule pour lui parler.

« À 3 heures donc (notez cette heure), ma mère put s'entretenir de mon père avec le Père Paul, et celui-ci répondit : « Prions ensemble pour sa guérison ». Et on pria quelques instants.

« J'étais alors à mon atelier à Gand. À 3 heures et demie, je fus tout étonné d'entendre ouvrir la porte... C'était mon père qui me dit en entrant : « Je me sens guéri, mais je meurs... de faim ! donnez-moi de suite une bonne tasse de café et des tartines ». Mon père était guéri, en effet, et le docteur déclara cette guérison absolument inexplicable.

« Jusqu'ici (en 1897) mon père ne s'est plus ressenti de son ancien mal ».

En voilà assez, en voilà plus qu'il n'en faut pour justifier la réputation de thaumaturge du Père Paul. Je m'arrête donc, non sans regret de laisser dans l'ombre tant d'autres merveilles de miséricordes et de salut, et je n'ajouterai plus qu'un mot au sujet des pénitences de ce grand serviteur de Dieu. Saint Vincent de Paul n'a-t-il pas dit : « Tant vaut la prière, tant vaut l'homme ; tant vaut la mortification, tant vaut la prière » ?

Or, quelques lignes de la biographie du Père Paul suffisent à mesurer l'abîme de sa mortification.

À toute heure de la nuit, aussi bien que dans le jour, on pouvait faire appel à son dévouement, car il accordait bien peu de temps au sommeil. Couché sur un grabat, il reposait la tête sur une planchette, ou bien, très souvent, il dormait debout le dos appuyé au mur. Il voulut un jour enseigner à un ami ce dernier mode de passer la nuit : « Vous verrez comme on dort bien ainsi », disait-il en riant.

On ne peut songer sans frémir aux privations et aux pénitences dont il semblait faire ses délices. Comment se faire à l'idée d'un homme se ceignant les reins d'une chaînette en fil de fer munie de cent pointes.

À ces prodiges d'austérité, Dieu répondait par des prodiges de grâce, tels qu'on en trouve dans la vie de saint François d'Assise. Un soir, comme saint François au couvent de Sainte-Claire, il s'entretenait avec quelques saintes âmes du sujet qu'il aimait le plus à traiter : l'amour de Dieu ; tout à coup, il apparut comme transfiguré. Sa face était devenue blanche comme neige, tandis qu'une auréole lumineuse, entourant sa tête, éclairait la chambre toute entière. Et avec une éloquence simple et sublime, tenant son auditoire suspendu à ses lèvres, il poursuivait toujours, toujours, communiquant à tous l'amour enflammé qui débordait de son cœur. Craignant qu'il n'en fût transporté jusqu'à en mourir, par trois fois on l'invita à se reposer. Mais, comme s'il n'entendait rien, sans cesse il allait, allait, ainsi que l'abeille butinant sur les roses, de fleurs en fleurs, sans respirer un moment, et cela dura jusqu'à onze heures de la nuit.

Le Père Paul mourut saintement comme il avait vécu, à l'abbaye de Termonde, le lundi 24 février 1896, vers minuit.

Ses obsèques solennelles eurent lieu à l'église de l'abbaye au milieu d'un immense concours. Comme pour tous les saints, la vénération du peuple fut la gloire de ses funérailles.

Sa dépouille mortelle repose dans le cimetière de Termonde, mais sa tombe est féconde comme sa vie, et on peut dire que le fils de saint Benoît continue du haut du ciel sa mission de consolateur, de guérisseur des corps et des âmes au nom du Seigneur Jésus-Christ. — On m'a promis, si je faisais connaître sa vie, que j'aurais ma part dans ses bienfaits : j'y compte bien.

A. DE SÉGUR